Subglacior, une sonde dans les archives du climat

Subglacior, une sonde dans les archives du climat

Le Monde.fr |  | Par 
Quelle sera l’importance du réchau­ffement climatique au cours des prochaines décennies ? Une partie de la ­réponse à cette ques­tion se trouve peut-être cachée en Antarctique depuis plus d’un million d’années. Les spécialistes estiment en effet que la calotte polaire dissimulerait quelque part, à plusieurs milliers de mètres au-dessous de sa surface, des glaces très anciennes datant du milieu de l’ère du pléistocène. De précieux échantillons qui non seulement seraient porteurs d’informations sur l’histoire reculée du continent blanc, mais pourraient aussi servir à établir certains mécanismes mal connus du climat actuel.

Version miniature de l'enveloppe de la sonde Subglacior, en test à la base franco-italienne Concordia en Antarctique (décembre 2014).
Version miniature de l'enveloppe de la sonde Subglacior, en test à la base franco-italienne Concordia en Antarctique (décembre 2014). PHILIPPE POSSENTI/LGGE/CNRS/IPEV
Plusieurs nations
« Doigt thermique »
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Encore faudrait-il pour cela réussir à les repérer et les récupérer. Ce qui va prendre du temps. Tant les zones où ils subsistent encore sont rares, et tant sont grandes et nombreuses les difficultés techniques à surmonter.
Le 26 mars, la fondation BNP Paribas présentait, en tant que mécène, la description d’une invention qui pourrait considérablement accélérer les opérations de recouvrement de ces archives climatiques. Imaginée par des équipes issues de quatre laboratoires français, la sonde Subglacior, qui sera testée à la fin de l’année 2016 sur la base franco-italienne Concordia (Antarctique), a été conçue pour évaluer rapidement l’âge des glaces qu’un site renferme. Deux mois suffiront pour mener à bien cette tâche, contre quatre ou cinq ans en moyenne aujourd’hui !
Considérée comme un objectif prioritaire par la communauté des spécialistes, la mise au jour de la glace la plus vieille du monde mobilise les équipes concurrentes de plusieurs nations. Chinois, Japonais, Américains et Européens concentrent leurs recherches sur quatre « dômes » du plateau antarctique. A la clé : un gain en termes de prestige bien sûr, mais surtout la perspective de réelles avancées scientifiques. « L’analyse des glaces donne accès à la température et à la concentration de l’atmosphère dans le passé, explique Jérôme Chappellaz, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement, à Grenoble, un des instigateurs du projet Subglacior. Plus elles sont anciennes, plus il est possible de remonter loin dans le temps. Des échantillons datant de 800 000 à 1,5 million d’années livreraient ainsi des informations sur un épisode du milieu du pléistocène, au cours duquel le rythme des variations climatiques s’est profondément modifié, passant d’un cycle de 40 000 ans à un autre de 100 000 ans. L’étude de cet événement très particulier pourrait nous permettre d’établir certains carac­tères du climat actuel. Par exemple, sa sensibilité aux changements de la quantité de gaz à effet de serre ­contenus dans l’atmosphère. »
Problème : aucun des moyens existants ne permet de prédire à coup sûr l’emplacement de telles glaces. Si des méthodes permettent de repérer des zones plus favorables que d’autres, les équipes n’ont aujourd’hui au bout du compte d’autres choix que de procéder à un carottage « à l’aveugle » de la calotte polaire, afin de s’assurer de leur présence à plusieurs milliers de mètres de profondeur. Une technique onéreuse, lente et risquée, sans garantie de succès. Pour peu qu’à l’endroit du forage les glaces du soubassement (et donc les plus anciennes) aient été mélangées ou aient fondu au fil des millénaires, toute l’opération se soldera par un échec !
D’où l’idée d’un instrument maniable à même de procéder à une sorte de reconnaissance subglaciaire préalable au carottage. Telle est la fonction du Subglacior. Cette sonde de 15 mètres de long et de 12 centimètres de diamètre, reliée à la surface par un câble flexible, creusera la glace en l’évacuant dans un fluide de forage sous forme de copeaux. Elle sera équipée à sa tête, au niveau de sa foreuse, d’un « doigt thermique » à même de fondre des échantillons tout au long de sa progression. Amenés dans la chambre interne d’un spectromètre laser mis au point au Laboratoire interdisciplinaire de physique de Grenoble, ces fluides seront analysés en continu afin d’établir leur teneur en deutérium (un isotope de l’hydrogène) et en méthane. Des informations qui permettront aux scientifiques de dater la glace durant la descente et ainsi d’établir, durant une seule campagne australe de deux mois, si le site choisi est pertinent.
Testée dans de l’eau à l’été 2014 en Méditerranée, cette sonde instrumentée, unique au monde, et dont le développement en cours implique aussi l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS et le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement à Saclay (Essonne), sera expérimentée, dans un premier temps, à Concordia. Les chercheurs souhaitent y vérifier son bon fonctionnement en comparant ses résultats à ceux déjà obtenus sur place par le forage Epica. En 2004, ce programme européen avait permis de récupérer plus de 800 000 ans d’archives climatiques sous forme de carottes, soit la plus longue séquence arrachée à ce jour à l’Antarctique.
Si ces essais se révèlent concluants, Subglacior sera alors transporté, en 2017, à une cinquantaine de kilomètres de là, sur un site candidat « à la plus vieille glace ». Repéré durant l’hiver 2011-2012 au cours d’un raid de l’Institut polaire français consistant en un aller-retour de 1 200 km entre les bases franco-italiennes de Concordia et la base russe de Vostok, une « zone d’écoulement » située à la verticale d’une « montagne » y focalise actuellement l’attention. Ce secteur d’une cinquantaine de kilomètres de côté, caractérisé par une faible épaisseur de glace de 2 600 à 2 700 mètres et des précipitations annuelles réduites, sera ainsi survolé à la fin 2015 par un avion américain doté d’un radar. Le but : identifier le meilleur endroit où installer un forage.